Dogville (2003), Lars von Trier

Je ne m’étendrai pas sur l’originalité de la forme qui s’oublie finalement assez vite ; notons simplement que l’absence de décors fait jaillir les émotions des acteurs hors de l’écran ; en revanche la caméra instable donne un peu le mal de mer au début.

Mais parlons plutôt du fond : Dogville, un village de 15 âmes vivant dans une entente paisible et une misère terrible ; les États-Unis à l’époque de la grande dépression et des gangsters en imper et feutre ; Tom, le penseur local qui est persuadé en observant ses compagnons de bocal que leur apparent esprit communautaire masque à peine une humanité plus noire, égoïste, qui n’attend qu’un révélateur, une illustration de la noirceur humaine.

Cette illustration arrive en la personne de Grace, qui pour que les habitants du village acceptent de la cacher à ses mystérieux poursuivants consent à les aider dans leurs tâches quotidiennes. Tout semble aller pour le mieux, Tom se serait-il trompé ? Non, car bientôt les choses se gâtent, les habitants exigeant toujours plus de Grace sous la menace de la livrer à ses poursuivants. La noirceur éclate en convulsions putrides autour de la blanche Grace broyée dans cet étau d’une humanité écoeurante. Seul Tom semble émerger de cette fange, mais son idéalisme passif le rend aussi coupable que les autres quand il se réjouit de trouver dans le martyr de Grace une parfaite illustration de sa théorie, dont il va pouvoir tirer un livre universel. Pour couronner la démonstration le village finit par livrer Grace à ses poursuivants… mais coup de théâtre, le gang à sa poursuite est dirigé par son père qui lui offre de la venger.

Grace refuse, affirmant qu’à la place de ces gens elle aurait sans doute agi de même, que cette noirceur pour être écoeurante n’en est pas moins indissociable de l’humanité. Elle affirme que la seule réponse possible est le pardon.

Son père lui fait remarquer qu’elle pardonne à d’autres ce qu’elle ne tolérerait pas d’elle-même, si bien que la fragile Grace, alors qu’éclate la lumière de la lune, de la nuit, de la noirceur, finit par se convaincre qu’en effet Dogville par sa crasse et sa bassesse, par son humanité en fait, souille un monde où sa propre bonté est ainsi empêchée d’éclater. Il faut purifier le monde, Dogville doit disparaître pour que le monde soit de nouveau bon. Et c’est justement là, sur cette décision fasciste, que l’horreur atteint son paroxysme avec un cynisme tel que certains spectateurs n’ont pu faire autre chose que de rire ou d’applaudir, occultant volontairement ou non l’horreur de cet épiloque pourtant explicite, qui nous montre les enfants se faire abattre un par un devant leur mère. Cet épilogue montre bien que vouloir supprimer la noirceur humaine est une folie terrifiante et vaine : le générique montre les images de cette misère universelle, partant d’un village similaire à Dogville et se rendant en d’autres lieux, en d’autres époques, où le monde est toujours aussi noir, toujours aussi humain.


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