Solaris (2002), Steven Soderbergh
N’ayant ni lu Lem ni vu ce Tarkovsky-là, je pense que d’autres sources complèteront sans doute avantageusement cette critique en établissant des liens avec les oeuvres citées.
Cette mise au point étant faite, difficile d’en dire beaucoup sur l’histoire sans spoiler : Kelvin, un psy hanté par le souvenir de sa femme, reçoit l’appel à l’aide d’un vieil ami travaillant dans une station orbitale, autour de la planète Solaris, où une chose indescriptible sème le trouble parmi l’équipage. Kelvin part sans atermoiements, le sujet du film n’est pas là, ni dans les plans clins d’oeil à 2001, mais dans ce qu’il va trouver sur place…
Ce sujet, c’est une interrogation existentielle sur ce qui fait l’être, et plus particulièrement l’identité, interrogation qui se manifeste dans notre relation à l’autre : si une personne sort par une porte et qu’entre une autre identique en tous points, pas seulement physiquement mais totalement, si ce n’est qu’elle n’est pas faite des mêmes atomes, est-ce la même personne ? ou bien, alors que la relation qui nous y lie est essentiellement métaphysique, le substrat physique qui supporte cette relation doit-il conditionner la reconnaissance de son identité ?
Cette question n’est pas si éthérée qu’il y paraît, car si pour Héraclite nous ne nous baignons pas deux fois dans la même rivière, alors de même nous ne rencontrons pas deux fois la même personne. Si ? C’est le même être qui a changé ? Mais alors jusqu’à quel point est-ce le même être ? On pense à Tereza dans l’Insoutenable Légèreté de l’être, qui se regarde longuement dans le miroir en se demandant si elle serait toujours elle-même si son nez s’allongeait démesurément, ou laquelle des deux moitiés elle serait si on séparait son corps de sa tête.
Car après avoir refusé le matérialisme et considéré que nous sommes plus qu’un ensemble d’atomes, que nous évoluons dans une dimension métaphysique où se construit véritablement la relation à l’autre, peut-on considérer que cette relation, magré ses racines matérielles, est purement métaphysique ? Alors si notre relation à l’autre est purement métaphysique, nous apparaissons nous-mêmes comme un grand arbre se déployant largement dans le plan métaphysique et s’appuyant sur d’infimes racines matérielles… le vertige idéaliste nous guette, et d’aucuns ne le supporteront pas.
Bref, le film amène beaucoup de questions, pour affirmer qu’il n’y a pas de réponses et que la vie se situe au niveau des êtres et de leurs relations, pas au niveau du questionnement sur leur nature, et peu importe si elle relève plus du matériel ou du métaphysique.
Cela ne signifie pas qu’il ne faut pas se poser de questions : nous sommes ainsi faits que ces questions se manifestent de toute façon, et refuser de chercher à y répondre ne les rend que plus oppressantes. Mais il ne faut pas se contenter de raisonnements abstraits sur l’être : il faut d’abord être, et ne pas se perdre dans l’idéalisme. Et là on pense au Jakub de la valse aux Adieux, qui a passé son existence à lutter sur le plan politique, et se rend compte au moment de partir que la vie n’est pas tant à ce niveau conceptuel qu’au niveau des enfants que fait naître son ami gynécologue, Skreta.
Bref, un film intéressant si l’on accepte de tirer les fils qu’il propose et de dérouler la pelote, à la réalisation léchée : chaque lumière, chaque cadrage est comme il faut. Mais c’est un peu le problème justement : sur ses cinq derniers films (les seuls que j’ai vus), Soderbergh choisit un sujet intéressant (voire simplement divertissant) et le traite avec beaucoup de soin et de maîtrise technique (sauf Full Frontal qui est plus un essai cinématographique), mais au final on se retrouve avec un travail de bon artisan qui est certes très plaisant mais ne parvient pas à trouver le souffle qui en ferait un chef d’oeuvre. Steven reste ainsi un cinéaste prometteur, mais cela fait plus de dix ans qu’on attend qu’il réalise ses promesses…