La prochaine ouverture ?
Tim O’Reilly cite dans ce billet Bob Young, l’un des fondateurs de Red Hat qui expliquait qu’avec l’open source, « ce que l’on vend c’est du contrôle » : c’est la possibilité de modifier le logiciel si l’on n’est pas satisfait, ou d’en prendre un autre s’appuyant sur les mêmes standards.
L’ami Tim tire alors un parallèle intéressant avec son article Open source paradigm shift, préliminaire à son invention de la notion de Web 2.0. Dans cet article, Tim O’Reilly rappelle la domination d’IBM sur le monde informatique, grâce à sa main-mise sur le matériel, jusqu’en 1981. À cette époque, IBM décide de proposer une plate-forme matérielle ouverte, en utilisant des composants sur étagère. Mais, incapable d’anticiper la transition du centre de gravité économique que cela allait provoquer, IBM confie le logiciel à une petite société nommée Microsoft. Résultat, l’ouverture du matériel voit des hordes de constructeurs proposer leur propre PC sous Windows, qui devient le nouveau dénominateur commun, le soleil autour duquel tourne désormais la galaxie informatique. Microsoft supplante IBM comme leader de cet univers. Autre conséquence de cette révolution, alors qu’avant 1981 la différenciation entre deux machines venait du matériel, la libéralisation de celui-ci voit le PC devenir une « commodité » : du moment que ça marche, on choisit le moins cher. Michael Dell comprend très vite cette transformation et tire son épingle du jeu. Certes l’ouverture du matériel laisse des niches où la domination reste possible pour les plus rapides à l’image d’Intel, mais la vraie domination est désormais celle du logiciel.
Or que voit-on aujourd’hui ? Tim explique que s’il demande à une salle qui utilise Linux, trois mains se lèvent. S’il demande qui utilise Google : tout le monde. Or Google tourne sur des serveurs Linux. Cela signifie que le système est à son tour devenu une commodité : du moment que le service tourne, peu importe que les machines soient sous Linux ou sous Windows. Conséquence : du moment que ça marche, on choisira le moins cher. Le support, dont les machines et leur système ne sont plus que des particules indifférenciées, est désormais Internet, et le nouveau centre de gravité c’est le service. Microsoft a été dépassé par Google, qui a verrouillé l’internet avec un système accessible mais fermé : on peut se brancher sur Google, mais pas s’en passer. Les marges sur le logiciel s’évaporent, celles sur le service explosent.
Et Tim cite Ray Kurzweil, l’un des pionniers de l’intelligence artificielle : « Je suis un inventeur, et je m’intéresse aux tendances long terme parce qu’une invention doit servir non pas dans le monde d’où part l’idée, mais dans le monde où elle arrive. »
En l’occurrence, le plus important n’est pas tant de comprendre comment le logiciel est devenu une commodité alors que Microsoft a tout fait pour que ça n’arrive pas, mais de trouver où se situe désormais la valeur, et où elle sera demain.
C’est là que l’on s’aperçoit que le « ce que l’on vend c’est du contrôle » de Bob Young est une constante de la création de valeur : c’est de moins en moins vrai pour le logiciel, puisque ce qui compte désormais c’est que ça marche pour pas cher, mais c’est de plus en plus vrai pour les services. Par exemple Google vend des outils de recherche aux entreprises mais cache ses algorithmes, ce qui sécurise ses marges mais limite l’adaptation à des besoins particuliers. Le client se tourne donc vers des concurrents qui lui permettent de personnaliser les algorithmes.
Cette poussée est encore timide, après tout Google a explosé vingt ans après l’avènement de Microsoft, mais les services deviendront fatalement à leur tour une commodité. À ce moment où le centre de gravité du monde informatique se déplacera-t-il ? Qui aura su anticiper et verrouiller ce nouvel Eldorado en attendant l’ouverture et la transition au niveau suivant ?
Tim O’Reilly suggère que ce nouveau soleil pourrait être les données manipulées par les services ouverts : on demandera demain à un appareil où se trouve la piscine la plus proche, et il nous répondra sans que l’on se préoccupe de savoir si la requête a été traitée par Google ou Yahoo!… Mais tout va très vite désormais : les entreprises qui bâtissent des bases de données fermées ont certes un contrôle qu’elles peuvent rentabiliser, mais elles doivent déjà anticiper l’ouverture des données pour ne pas se faire submerger, car les bases ouvertes s’amélioreront plus vite que les bases fermées.
Pour compléter la réflexion de Tim, je pense effectivement qu’il faut déjà placer ses pions sur les terrains économiques de demain, et Google le fait plutôt bien en proposant déjà des services qui croisent les données issues de ses différentes bases. Cependant il ne faut pas oublier que chaque arbre a besoin de racines et qu’il y a encore une énorme valeur ajoutée à dégager sur la consolidation des étages inférieurs de cet édifice qui relie le matériel au service : l’accès à Internet est-il réellement une commodité lorsque la connexion d’un PC en Wi-fi nécessite de brancher trois câbles, de rentrer un identifiant et un mot de passe, d’appuyer sur deux boutons et de taper une clef de 25 caractères ? Non, et tant que ce n’est pas aussi simple que de tourner le robinet pour faire couler de l’eau, ce n’est pas encore une commodité.